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À qui parcourt prés et bois, bords de mer et montagnes, chemins ou terrains vagues, se révèlent une multitude de plantes aux couleurs et aux formes infiniment variées. Apprécier du regard cette symphonie végétale n’est que mise en appétit : l’expérience d’une telle richesse passe aussi par les mains, le nez, les papilles. Explorer sous ses doigts les textures des végétaux, caresser de douces feuilles ou de rugueuses écorces, font éclore des mondes insoupçonnés. Que d’émotions peuvent surgir du parfum d’une fleur, de la fragrance d’une tige délicatement froissée ! Et combien de délices sommeillent dans les racines croquantes et juteuses, les pousses au goût frais, les fruits dont les saveurs dépassent l’imagination…

La prise de conscience de l’extrême diversité du règne végétal, de sa beauté émouvante et de sa prodigalité ouvre grand sur l’univers. La vie des plantes sauvages commence sur le pas de la porte et s’étend sans limites. En tous lieux, herbes, arbustes ou arbres, même les plus anodins, invitent à de prometteuses rencontres.

À une époque qui semble bien lointaine, nos ancêtres évoluaient librement dans l’environnement originel et en tiraient leur subsistance sans recourir à l’agriculture. De nombreuses traditions dépeignent ces temps comme un « âge d’or ». Au fil des siècles, victime de l’hégémonie progressive de la campagne sur la nature puis de celle de la ville sur la campagne, l’union immémoriale de l’homme et du végétal n’a cessé de s’effilocher. Nos prédécesseurs vivaient au quotidien leur parfaite connaissance de la flore, en symbiose avec les plantes qui constituaient la base principale de leur nourriture, les abritaient, les vêtaient, les chauffaient et les soignaient. Elles leur offraient également les moyens de se parer, de teindre leurs vêtements, de fabriquer des récipients ou de tresser des cordes. Parfois, des écorces assouplies leur fournissaient des robes et des couvertures comme cela se pratique encore en Amazonie et à Hawaii. De feuilles, de tiges ou de troncs évidés surgissaient miraculeusement des instruments de musique. Racines, bois ou fruits procuraient les poisons de pêche et de chasse. Les plantes étaient présentes dans la plupart des domaines de la vie. Fort heureusement, cet accord avec le végétal n’a pas complètement disparu et la chance m’a été donnée de rencontrer des peuples toujours étroitement liés à la nature.

Malgré des origines parisiennes apparemment peu propices à la découverte de la nature, les plantes accompagnent mes premiers pas sur les sentiers montagnards où m’entraîne ma mère. Une adolescence citadine et tumultueuse tente de m’en éloigner. Ce sont les végétaux qui me permettent de sortir de la crise existentielle profonde que je traverse alors : nos retrouvailles ont lieu à un moment crucial, me sauvant de l’abîme. Enfin, je redécouvre équilibre et bien-être. Émerveillé par mes nouvelles expériences, je me lance dans l’exploration des plantes et de leurs usages. Les herbes sauvages me nourrissent le corps et l’âme, et la nature satisfait ainsi mon besoin fondamental d’indépendance.

Mes rencontres avec la flore ont tout d’abord eu pour théâtre les luxuriantes Alpes puis la plupart des environnements français si variés. Elles se sont ensuite multipliées de façon prodigieuse par mes voyages. De l’Europe à l’Amérique, dans les îles du Pacifique, puis de l’Afrique à l’Asie, ma passion dévorante a trouvé de quoi s’assouvir et se renouveler sans cesse, parmi quelque 400 000 espèces[1] de plantes, sans compter les mousses, les lichens, les algues et les champignons[2].

De fil en aiguille, l’étude des rapports entre plantes et hommes à travers les âges et la planète m’a entraîné dans le domaine de l’ethnobotanique. Sorte d’hybride entre l’ethnologue et le botaniste, l’ethnobotaniste s’intéresse à la grande histoire des amours, parfois tumultueuses, liant les peuples aux végétaux. Mon intérêt personnel s’est porté plus particulièrement sur les plantes sauvages comestibles que j’ai entrepris de recenser à travers les continents. Depuis des temps immémoriaux les hommes de toutes cultures en consomment des milliers. Malheureusement, dans certains pays, en particulier en Occident, la plupart ont été oubliés, et le reste du monde suit à grands pas, victime de l’envahissement tentaculaire de notre mode de vie et de pensée. La variété du contenu de nos assiettes a drastiquement diminué et l’homme ne dépend plus pour sa nourriture que de quelques espèces végétales.

Les bonnes raisons de retrouver ces plantes délaissées ne manquent pourtant pas. Elles offrent l’occasion de découvrir un nombre incalculable de saveurs nouvelles. De grands restaurateurs l’ont bien compris qui mettent à leur carte certains de ces végétaux injustement négligés. Il n’est plus possible de les ignorer depuis que les médias s’en font le relais et qu’on les déguste revêtus des apprêts gastronomiques de ces artistes culinaires. Aliments de plaisir, les plantes sauvages s’avèrent également les meilleurs alliés de notre santé grâce à leurs exceptionnelles vertus. J’en ai fait l’expérience personnelle, et de nombreuses études le confirment : il s’agit là de véritables bombes nutritionnelles. Leur consommation régulière pourrait remplacer, à moindre coût et d’agréable façon, les compléments alimentaires en plein essor. L’effet des plantes sur la santé ne s’arrête pas à la prévention. Bon nombre de ces végétaux possèdent aussi des vertus curatives dont il est possible de bénéficier en s’en nourrissant. Hippocrate y invitait déjà : « Que ton aliment soit ton remède ».

L’ethnobotanique n’est pas l’apanage des spécialistes et chacun la pratique quotidiennement en mangeant pommes de terre, haricots, carottes ou autres choux-fleurs – plantes sauvages à l’origine, depuis longtemps modifiées par l’homme, démiurge du potager. Bien d’autres plantes de la nature pourraient trouver leur place dans nos cultures : parmi elles figurent peut-être nos légumes de demain. D’autres peuvent se contenter d’une forme de semi-culture : il suffit de les transplanter dans un coin du jardin et de les laisser se débrouiller jusqu’à la récolte. Avantage supplémentaire, les plantes vivaces reviennent chaque année à la même place et les annuelles se propagent toutes seules. Nul besoin de les ressemer.

Mais il me semble indispensable d’aller également cueillir les plantes sauvages là où elles poussent spontanément. En effet, parce qu’elles vivent en adéquation avec leur milieu, sont soumises à la sélection naturelle et ne sont pas noyées sous les arrosages, ces plantes sont toujours plus riches en nutriments que leurs homologues cultivées. Par ailleurs, les récolter soi-même est un motif supplémentaire pour sortir dans cette nature indispensable à notre équilibre psychique. Il est important de développer avec elle une relation étroite. La vie m’a appris combien la connaissance des herbes, même aussi communes que le millefeuille ou le plantain, se révèle essentielle à notre épanouissement. Soigneusement caché chez la plupart, le cueilleur vit encore en chacun de nous. Aujourd’hui, cueillette, culture et semi-culture pourraient se compléter intelligemment pour subvenir de la meilleure manière aux besoins de l’être humain.

Il est possible de vivre autrement qu’en usant son énergie à satisfaire des exigences artificielles toujours croissantes. L’existence peut être bien plus enrichissante, plus juste et harmonieuse que prisonnière d’un travail trop souvent fastidieux et de loisirs fréquemment compensatoires. L’intimité avec les plantes m’a permis de mener une vie très différente de ce que tente d’imposer la civilisation occidentale. J’en ai retiré de tels bienfaits que j’ai très tôt éprouvé le désir de partager mes découvertes, d’abord avec mes amis puis plus largement sous forme de conférences, de stages et de livres, complétant mes recherches par l’enseignement.

À évoluer ainsi au contact du monde végétal, cette sage parole de Le Clézio a pris pour moi tout son sens : « Ce sont les plantes qui sauvent les hommes[3] ».


[1] L’espèce est un ensemble d’individus possédant certains caractères en commun et capables de se reproduire entre eux en transmettant à leur progéniture ces mêmes caractères.

[2] Strictement parlant, les champignons ne sont plus classés parmi les plantes mais dans un règne à part.

[3] La Quarantaine, J.-M. G. Le Clézio, Gallimard, Paris, 1997

Commentaires (14)

    • TONI Vito et Marie-Madeleine

    • Il y a 5 mois

    Merci cher François pour ce témoignage qui va droit au coeur autant qu’à l’esprit.
    Grâce à toi, à tes stages, tes livres, tes courriels, nous avons pris goût aux plantes sauvages, à leur connaissance et leur dégustation.
    Et nous sommes ravis de constater que moult grands cuisiniers du monde suivent tes traces et enseignements.
    Amitiés. Les Toni

      • François Couplan

      • Il y a 5 mois

      Merci à vous. Je suis heureux que les plantes tiennent une place dans votre vie. Elles nous font tellement de bien !

    • SIMON OLIVIER

    • Il y a 5 mois

    Bonjour François,

    Ton texte capture magnifiquement bien la beauté et la richesse du règne végétal et transmet avec passion l’importance de rétablir les liens entre l’homme et la nature. Il met en lumière la valeur des plantes sauvages non seulement en tant qu’aliments nutritifs, mais aussi en tant que symboles de liberté et de respect pour l’environnement. Il donne envie de découvrir la flore sauvage, d’en apprécier les saveurs et les bienfaits, et d’envisager une relation plus harmonieuse avec la nature. C’est un véritable appel à l’action pour une révolution culturelle et alimentaire qui mérite d’être entendu. Merci.

    Amitié,

    Olivier

      • François Couplan

      • Il y a 5 mois

      Avec plaisir. Je crois que tu as fort bien résumé ma démarche. La relation avec les plantes et la nature fait, j’en suis convaincu, du bien à l’individu, mais aussi à la société tout entière.

      • Ananda Patricia

      • Il y a 5 mois

      C’est exactement cela !

    • Ananda Patricia

    • Il y a 5 mois

    Magnifique texte François.

    C’est une vraie déclaration d’amour poétique et tout en finesse aux plantes et une ode au vivant.

    Je vais me délecter tous les samedis à n’en pas douter !

    Je profite de cette bulle pour vous souhaiter une bonne et heureuse année 2024 à toi et à Keiko.

    Je vous embrasse affectueusement.

    Ananda

      • François Couplan

      • Il y a 5 mois

      Merci Ananda. Je te souhaite le meilleur à toi aussi.
      Puissent les plantes t’apporter beaucoup de bonheur.

        • Ananda Patricia

        • Il y a 5 mois

        Merci François

    • CORNETTE Isabelle

    • Il y a 5 mois

    Waouwwww! Merci François de nous emmener par le coeur dans ta passion pour les êtres végétaux. Que ta plume est belle et inspirante, je la ressens tellement animée par ta longue histoire d’Amour avec la Nature. MERCI pour ton chemin et la voie que tu partages. Merveilleuse Année à toi et à Keiko, en pleine santé! De tout coeur, Isabelle

      • François Couplan

      • Il y a 5 mois

      C’est un plaisir, Isabelle. Tu sais, les plantes nous portent tellement que le partage se fait tout seul. J’accomplis ce qui est en mon possible pour aider à les remettre au centre de nos vies, car je pense que ça rend service à tous. Donc merci de m’accompagner dans ce voyage.

    • Pierre Berton

    • Il y a 5 mois

    Bonjour Monsieur Couplan. Encore une fois vous nous emmenez voyager à travers l’univers des plantes que vous connaissez si bien et que vous ne cessez de partager depuis les nombreuses années où je vous suis. Je vous en remercie chaleureusement. Notre monde en folie a bien besoin de se recentrer sur l’essentiel, sur ce qui peut faire du sens pour les personnes un peu perdues qui le peuplent. Bravo pour votre action en ce sens. J’ai hâte de lire la suite de votre feuilleton. Et j’envisage de m’inscrire à votre formation en ligne qui me semble passionnante et dont les commentaires des élèves inscrits sont très positifs. A bientôt donc pour la suite…

      • François Couplan

      • Il y a 5 mois

      Je vous remercie d’avoir si bien perçu ce qui me motive. Oui, au-delà du plaisir gustatif de la soupe d’ortie et de la confiture de cynorrhodon – dont je me délecte, c’est sûr -, les plantes peuvent contribuer efficacement à notre santé physique et morale, et nous permettre de mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons. En cette période de questionnement intense, les végétaux peuvent nous apporter d’intéressants éléments de réponse et nous aider à mieux nous retrouver – c’est ce qu’elles ont fait pour moi au cours de ma vie et je suis heureux de proposer à d’autres de le vivre aussi.
      Si vous vous inscrivez à notre formation, je serai très heureux de vous compter parmi nos élèves et de vous guider dans votre apprentissage. Vous ferez, j’en suis sûr, de belles découvertes au fil de nos cours, et nous aurons l’occasion de nous rencontrer parmi les plantes que nous aimons.
      A bientôt.

    • Domie

    • Il y a 5 mois

    Oh oui, j’adhère à 100% !
    Quel bonheur d’aller cueillir la mâche sauvage, la stellaire, le lierre terrestre et autres jeunes pousses en ce début janvier 2024 à peine frissonnant.
    Ton remarquable texte, François, me renvoie au livre que je déguste en ce moment et que je conseille à chacun-e, en plus des tiens si tu me le permets ? Il se nomme “Tresser les herbes sacrées” de Robin Wall Kimmerer. C’est un hymne à l’économie du Don de la Nature.
    Merci et bonne continuation à vous deux sur les chemins du partage de la connaissance des plantes.

      • François Couplan

      • Il y a 5 mois

      Oui, je l’ai lu, c’est un livre magnifique, du vécu !
      Les plantes, c’est du vrai, du réel qui touche à tout notre être.
      Je te souhaite encore de belles découvertes dans la nature.

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