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Cette région évoque immanquablement les cigognes et le nectar pressé des généreux mamelons bordant les Vosges. Mais l’Alsace est surtout une vaste plaine, le fossé d’effondrement du Rhin né du déchirement de la croûte terrestre au Tertiaire. Couvert d’alluvions fertiles, le sol en est humide au point de se gorger d’eau au voisinage du fleuve et de son affluent l’Ill : voici, entre Colmar et Strasbourg le « Ried ». Ce terme dérive de l’alémanique Rieth qui signifie « roseau ». Il désigne un paysage exceptionnel de prés inondables et de végétation luxuriante dont une partie a été mise en réserve naturelle.

Une excursion dans le Ried nous fait pénétrer dans un monde ancien où la puissance du végétal s’exprime librement. La forêt alluviale semble vierge car la présence de l’homme y reste faible, même s’il a exploité ces lieux depuis des millénaires. La combinaison de l’humidité constante et de la chaleur estivale offre aux plantes les conditions d’une croissance rapide et expansive : entre les herbacées qui couvrent le sol de touffes souvent imposantes et le sommet des arbres, véritable canopée comparable à celle des forêts tropicales, s’étagent des buissons touffus et d’innombrables arbustes étirant vers la lumière leurs troncs vigoureux. Un entrelacs de lianes tombe des arbres. La flore est riche et variée.

Dans la touffeur des forêts alluviales

C’est le domaine de l’angélique sylvestre, robuste maîtresse des sous-bois, au nom gage de vertus depuis longtemps appréciées. L’ampleur de son feuillage aux élégantes découpes suffirait à la mettre en valeur. Mais dès la fin du printemps paraît une tige épaisse et charnue qui ne cesse de grandir et finit par porter bien au-dessus de la végétation de grosses têtes hirsutes qui interpellent de loin le promeneur. Souvent la tige est pourpre, couleur insolite qui tache aussi la base des feuilles. Il n’est pas rare que les fleurs prennent une teinte vineuse qui les fait ressortir sur le vert environnant. Demi-sphères joufflues et rayonnantes, les ombelles de l’angélique trahissent son appartenance à la grande famille des Ombellifères, comme la carotte ou le persil.

Pour rencontrer sa grande sœur, l’angélique archangélique, plus élevée dans la hiérarchie céleste comme elle l’est en taille, il nous faudrait affronter les frimas du nord de l’Allemagne ou de la Scandinavie car elle se cantonne au nord de l’Europe. Nous pourrions également explorer les « jardins de curé », car c’est elle que l’on cultive, ou explorer le marais poitevin. Quoi qu’il en soit, les deux espèces possèdent les mêmes vertus, même si notre indigène affirme un caractère plus farouche que celui de l’archangélique au suave parfum.

À la coupure d’une tige d’angélique sourd une résine d’un blanc-jaunâtre, piquante et amère, riche en essence aromatique. La plante entière, mais surtout la racine, tonifie l’organisme et facilite la digestion. On la dit « carminative » car elle possède l’utile propriété d’expulser de l’intestin les gaz produits par les aliments imparfaitement absorbés. Une façon « nature » de soigner un refroidissement consiste à déterrer une racine d’angélique dans les bois, la brosser soigneusement sous l’eau du robinet puis en consommer avec régularité des fragments découpés. Amélioration garantie ! Au XIXème siècle, le médecin Bodard ne tarit pas de louanges : « …si cette plante était une plante étrangère, elle serait aussi précieuse chez nous que le ginseng l’est chez les Orientaux, et elle se vendrait à prix d’or… ». Il est exact que l’angélique possède, comme la panacée asiatique, la propriété de régénérer les organismes fatigués. Annibal Camoux, décédé à Marseille à l’âge remarquable de 121 ans, attribuait sa longévité exceptionnelle à son habitude de mâcher tous les matins une racine d’angélique.

Les fameuses tiges confites d’angélique proviennent de l’archangélique. Aujourd’hui, celles du commerce sont couramment préparées avec des raves insipides violemment colorées et ne présentent pas le moindre intérêt gustatif. L’angélique sauvage convient fort bien pour confectionner soi-même de véritables tiges d’angélique, concentrés de saveurs et de vertus. Il faut récolter la tige au début de l’été, lorsqu’elle est encore bien tendre au toucher. Mais les angéliques sauront se rendre utiles jusqu’au bout… Au lieu de jeter les épluchures des tiges et les inflorescences, nouez-les dans un tissu que vous plongerez dans la bassine où cuiront fraises ou framboises. En sortiront des confitures au goût délicieusement… sylvestre !

 Tiges d’angélique sylvestre confites 
– Choisissez des tiges encore très tendres.
– Pelez-les et coupez-les en tronçons d’une dizaine de centimètres.
– Faites-les cuire environ une demi-heure à l’eau bouillante, puis égouttez-les.
– Placez les tiges dans un sirop de sucre préparé avec une même quantité de sucre et d’eau.
– Faites cuire à gros bouillons. Au bout d’une demi-heure, versez le tout dans une terrine.
– Le lendemain, remettez le sirop seul dans une casserole et faites-le de nouveau bouillir puis versez-le sur les tiges dans leur terrine.
– Répétez cette opération trois jours consécutifs.
– Retirez les tiges de la terrine et mettez-les à sécher sur une grille. 
– Conservez dans des bocaux fermés.
– Utilisez dans les cakes bien sûr, mais aussi dans le muesli, les salades de fruits et les chutneys. 

Dans la moiteur estivale, les chemins forestiers se bordent de touffes vaporeuses perchées sur de longues hampes anorexiques : telle se distingue la valériane. Approchons-nous. Les petites fleurs blanc-rose au parfum ambigu, mi-violette, mi-félin, se groupent en inflorescences aplaties, des corymbes. Le long de la tige s’étagent des paires de feuilles composées de segments étroits bordés de quelques dents arrondies. 

C’est sous le sol que la valériane cache ses trésors, en l’occurrence ses racines brunes, épaisses et odorantes. Dégagent-elles un suave parfum ou une abominable puanteur ? Chacun en perçoit l’odeur selon les méandres de sa propre histoire olfactive. Pour certains, les parties souterraines de la valériane sentent de façon caractéristique le pipi de chat, au point que bien des pharmaciens les refusent dans leur officine. D’autres nez ne dédaignent pas leurs exhalaisons épicées… Effectivement, cette « herbe à chat » excite et euphorise nos compagnons moustachus.

Que l’on apprécie ou non leur fragrance, ces racines possèdent des vertus prisées de tous et leur contribution au bien-être de l’humanité souffrante a fait attribuer son nom à la valériane, du latin valeo, « être en bonne santé ». En effet, cette plante si commune favorise la venue du sommeil et améliore sa qualité, bienfaits particulièrement appréciables à notre époque de stress chronique. Prise en cures, la valériane contribue efficacement à rééquilibrer le système nerveux malmené par des années d’abus… Mais ses pouvoirs restent un mystère car personne n’est parvenu à définir un principe actif précis qui pourrait être à l’origine d’effets pourtant incontestables. Les phytothérapeutes parlent dans ces cas-là d’un « totum », ensemble de substances dont les activités se renforcent mutuellement. Le cas est fréquent chez les remèdes végétaux, ce qui explique leur absence habituelle d’effets secondaires, à l’opposé des médicaments de synthèse dont l’effet provient d’un unique principe actif.

Dans la verdure aux riches nuances, l’épiaire des marais pourrait passer inaperçue. Un œil exercé y distinguera pourtant sans effort une plante pourvue d’une tige rigide portant de longues feuilles opposées, légèrement gaufrées, avec au sommet, un épi chatoyant de fleurs rose vif. Elle vit en colonies issues des multiples rejets de ses longues tiges souterraines qui s’étirent et se multiplient dans la riche terre gavée d’eau. Ces rhizomes servent à l’épiaire de réserve de nourriture à la mauvaise saison. Il n’est pas besoin de creuser profond pour mettre à nu des renflements nacrés gros comme des doigts. Les hommes, jadis, ne les dédaignaient pas et les récoltaient pour leur agréable saveur et leurs vertus nutritives. Mais apparemment, personne n’eut jamais l’idée de les mettre en culture. 

Les Asiatiques seraient-ils plus inventifs que nous ? Ils cultivent en tout cas depuis des temps immémoriaux une cousine extrême-orientale de l’épiaire des marais. Pailleux et Bois qui l’introduisirent en Europe la baptisèrent « crosne » en 1882, du nom de la localité de Seine et Oise où se situait leur jardin expérimental. Ses délicats tubercules à la fine saveur de noisette connurent une grande vogue dans les milieux « branchés » de l’époque avant de tomber dans un oubli injustifié comme nombre d’autres légumes anciens. Heureusement, depuis une quinzaine d’année, les jardiniers passionnés puis le public ont redécouvert outre le crosne, le cardon, le panais, le cerfeuil tubéreux et autres topinambours.

Les sols profonds et humides offrent un habitat parfait à un étonnant chardon sans épine, le cirse potager. Ses amples feuilles, en énormes rosettes, évoquent l’acanthe. Ses hautes tiges portent des groupes d’étroits capitules formés de fleurons jaune pâle en forme de tube. Cette couleur distingue notre chardon de ses congénères, qui les préfèrent pourpres. L’épithète « potager » fait allusion aux éminentes qualités alimentaires de ce cirse dont on consomme les feuilles comme légume. Les plus jeunes sont assez tendres pour préparer des salades tandis que les anciennes portent de grosses nervures qui se cuisinent à la façon des bettes à carde. Leur saveur est proche de l’artichaut, son cousin. L’un comme l’autre sont riches en un sucre particulier, l’inuline, que la digestion transforme en fructose et non en glucose. De ce fait, le cirse est à conseiller aux diabétiques.

 Pétioles de cirse potager à l’alsacienne
– Choisissez des pétioles épais et charnus.
– Effilez-les puis coupez-les en tronçons d’environ 3 cm de longueur.
– Épluchez et hachez finement des oignons, coupez un morceau de lard en petits dés. 
– Faites revenir quelques minutes le hachis d’oignons et le lard à la poêle.
– Huilez un plat allant au four. Garnissez-le de la moitié des oignons et du lard. Disposez dessus les pétioles de cirse et recouvrez-les du reste du mélange.
– Salez et poivrez.
– Délayez de la crème fraîche dans un peu de vin blanc et versez cette sauce sur toute la surface du plat.        – – Enfournez et comptez une heure de cuisson à four doux. 
Servez très chaud, au sortir du four, avec un Riesling ou un Gewürztraminer. 

C’est dans les bois au sol détrempé que prospère le scirpe des forêts. Ses longues feuilles étroites, pliées en gouttières, s’imbriquent les unes dans les autres en touffes d’un beau vert soutenu. Mais attention, elles sont coupantes. Il faudra faire preuve de délicatesse pour les arracher de leur souche afin de déguster quelques centimètres de la base blanche et tendre. Leur saveur est aussi fine que celle des cœurs de palmier et dans notre cas, la plante repoussera sans souci[1]. Mais n’espérez pas en faire une salade, ce ne sont là que morceaux de choix, pour s’ouvrir l’appétit.

Les plantes de l’Alsace : les pieds dans l’eau

En certains lieux, la nappe phréatique remonte et l’eau affleure. Ceci n’est pas pour déplaire à la véronique beccabunga, une curieuse plante grasse. Elle ne vient pas d’Afrique : son nom est une déformation du germanique Bachbunge, plante des ruisseaux. Ses tiges rondes et dodues, rougeâtres, portent d’épaisses feuilles opposées et de longues grappes de fleurettes bleues caractéristiques de toutes les véroniques : quatre pétales inégaux soudés entre eux et deux étamines seulement. Avec un peu d’imagination, la fleur des véroniques reproduit l’empreinte sacrée du visage du Christ qu’essuya d’un linge Sainte Véronique lors de la montée au Calvaire… Le grec Veronicon signifie « vraie image ». 

Son autre nom, moins poétique, est « cresson de cheval ». La beccabunga pousse dans les cours d’eau tout comme le célèbre cresson de fontaine et se mange elle aussi. Mais son amertume est notoire et sa saveur un peu âpre… Tout juste bonne pour les chevaux ? Ou peut-être bien une facétie de la langue de Shakespeare dans laquelle coarse, « grossier », est phonétiquement proche de horse, « cheval ». Ainsi a-t-on glissé de coarse radish, à horseradish pour désigner le piquant raifort, fustigeant le malheureux végétal au goût trop prononcé pour le palais raffiné des « honnêtes gens ». Laissons donc ces derniers à leurs laitues et ne négligeons pas de cueillir tiges, feuilles et fleurs de beccabunga pour en relever nos salades.

Au printemps, les superbes fleurs jaune d’or des populages, tranchant sur le vert sombre de leurs feuilles arrondies, égaient l’austérité du paysage. On les nomme parfois « soucis d’eau » par analogie avec ceux qui ornent nos jardins. Mais ce sont en fait de proches parents des renoncules avec lesquelles ils partagent une relative toxicité due à une substance âcre, la protoanémonine : en mâcher une feuille brûlerait la bouche. Ceci n’a pas empêché de conserver au vinaigre les boutons floraux de populage. Ces câpres sauvages sont traditionnels au fin fond des bayous du sud des États-Unis où patauge allègrement notre plante. 

Sur la végétation du bord des eaux grimpent les tiges de la douce-amère. Les feuilles de cette liane élégante sont souvent divisées en trois segments, les deux de la base formant comme des oreillettes et le supérieur beaucoup plus grand. À leur aisselle pendent des grappes de fleurs en forme d’étoile à cinq lobes aigus, un peu renversés, violets avec chacun deux taches vertes à la base, sur lesquels tranche le jaune des étamines. Elles se transforment en baies allongées, d’abord vertes puis rouge luisant à maturité.

Les tiges au bois doux et à l’écorce amère sont employées comme dépuratif et diurétique. Mais il faut tenir la plante pour toxique, en particulier les baies. Leur ingestion provoque des troubles digestifs, nerveux, respiratoires et cardiaques. Elles sont riches en saponines et leurs graines renferment des alcaloïdes semblables à l’atropine de la belladone.

Au bord des lacs et des étangs

Le milieu aquatique demande aux végétaux d’importantes adaptations pour vivre constamment les pieds dans l’eau. En contrepartie, ils ne sont guère soumis aux effets des changements de climat qui affectent leurs congénères terrestres. En particulier, la sécheresse leur est inconnue. C’est pourquoi les plantes lacustres se rencontrent presque d’un bout à l’autre de la planète. Ainsi en est-il du roseau : en Alsace comme partout en France et dans tout l’hémisphère nord de l’Afrique à la Sibérie, du Mexique à la Chine, les étangs sont bordés de cette graminée géante. Belle réussite !

Pour les anciens Grecs, c’est le roseau qui a donné la musique à l’homme. Syrinx, nymphe des eaux poursuivie par les ardeurs lubriques du dieu Pan, implora son père, le dieu-fleuve Ladon, de la transformer en roseau. Pan, dépité, en cueillit les tiges creuses qu’il assembla en longueurs différentes pour former la flûte qui porte son nom. Notre plante a par ailleurs des applications plus prosaïques. Ses jeunes tiges tendres à la saveur sucrée de réglisse étaient jadis séchées, moulues et mêlées à de la farine de blé pour préparer des gâteaux. 

On confond fréquemment le roseau avec une autre plante du bord des eaux, également ubiquiste, la massette. Mais comme son nom l’indique, cette dernière porte au sommet de ses tiges une masse allongée, en lieu et place des élégants plumets du roseau. L’hiver venu, ces gros cigares bruns éclatent en souplesse et laissent s’envoler une multitude de graines munies d’un duveteux parachute qui les emporte dans les airs à travers les continents et les mers.

La massette pourrait être surnommée le « garde-manger des marais ». Ses jeunes pousses et la base de ses feuilles sont tendres et croquantes avec la fine saveur des cœurs de palmier. Perché au faîte de la hampe, l’épi de fleurs mâles répand en début d’été une profusion de pollen d’or que l’on peut récolter aisément au creux de sa main. Mélangé à de la farine, il invite à confectionner des crêpes ou des pains d’une surprenante couleur, riches de tous les minéraux contenus dans la poussière fécondante si généreusement engendrée par la plante. Les épis de fleurs femelles, futurs « cigares », peuvent être cuits à l’eau et dégustés à la façon du maïs frais avec un peu de beurre et de sel. Ils sont situés juste au-dessous des représentants du sexe opposé. 

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Merveilleuse massette ! Kit de survie complet, elle saurait sauver la vie de qui serait perdu en pleine nature. Ses rhizomes qui s’entrecroisent dans la vase, jamais loin de la surface de l’eau, sont gorgés d’un amidon absolument pur qui pourrait former pendant des mois la base de l’alimentation. Certes, quelques plantes sauvages seraient nécessaires en complément pour l’apport en protéines, vitamines et minéraux. Mais c’est avant l’amidon qui fait tourner nos moteurs organiques et celui des tiges souterraines de la massette est de la meilleure qualité ! Il suffit de mâcher la tige souterraine au goût agréable. Pour en extraire l’amidon, les Indiens d’Amérique du Nord broyaient les rhizomes et les trituraient dans de l’eau. Après filtrage, le liquide blanchâtre était laissé à décanter et l’amidon déposait au fond. Il ne restait plus qu’à vider délicatement l’eau surnageant, à faire sécher l’amidon puis à le moudre en farine. Bonus : les longues fibres du rhizome libérées dans le processus permettent de fabriquer de solides cordes. Et les longues feuilles spongieuses, parcourues de vaisseaux amenant l’air aux racines pour en éviter l’asphyxie, sont tressées en nattes fort commodes. 

Il n’est pas rare pour une plante d’être belle et dangereuse… C’est le cas, au bord des étangs, de l’iris faux-acore dit aussi «iris jaune » ou « iris des marais ». Ses grosses touffes de feuilles coriaces, allongées et un peu arquées, aiguës au sommet sont déjà très décoratives en elles-mêmes. Mais la plante devient superbe lorsque sa robuste hampe s’orne de grandes fleurs jaunes. Leur structure est unique dans le monde végétal : trois grandes divisions extérieures dirigées vers le bas et trois petites divisions intérieures redressées entre lesquelles se trouvent les larges stigmates ressemblant à des pétales. Stylisée, c’est la fleur de lys des rois de France. Le choix de ce symbole serait dû à Clovis en souvenir de la bataille de Vouillé contre les Wisigoths, en 507. Au cours du combat, il voulut traverser la Vienne pour prendre ses ennemis à revers. En un lieu où poussaient en abondance les iris, se révéla un gué que les troupes franques purent franchir. Ainsi furent-ils vainqueurs. 

L’épaisse tige souterraine de l’iris des marais est très âcre. Elle brûle la peau et ferait vomir qui la goûterait, allant jusqu’à provoquer des gastro-entérites. Pourtant chez d’autres espèces, le rhizome est doux. En Asie, on cultive certains iris pour leurs rhizomes comestibles, rôtis ou bouillis. Celui de l’iris de Florence est utilisé en parfumerie pour le suave parfum de violette qu’il acquiert en séchant. Les Anciens en parfumaient l’huile pour s’oindre le corps et en supprimer les odeurs : l’iris fut donc le tout premier déodorant.

Iris était la servante de Zeus et d’Héra. Cette dernière la transforma en arc-en-ciel lorsque la jeune fille devint la maîtresse de Zéphyr et perdit sa virginité. Elle devint alors la messagère des Dieux. Les âmes des mortels parvenaient au repos éternel en empruntant le chemin formé par l’arc-en-ciel, dont certains iris possèdent les couleurs chatoyantes.

Terminons notre exploration par une plante qui n’est sauvage que lorsqu’elle s’échappe des jardins, ce qui n’est pas rare. Malgré son nom botanique d’Armoracia, « d’Armorique », le raifort est né aux confins de l’Europe et de l’Asie, dans les steppes lointaines des Cosaques. Les habitants des contrées germaniques et anglo-saxonnes l’apprécient particulièrement. En France, ce n’est guère qu’en Alsace que l’on cultive sérieusement cette « racine forte[2] ».

Sa grosse tige souterraine, qui rejette avec vigueur, donne naissance à des touffes verdoyantes de feuilles énormes. Il est rare de pouvoir contempler ses petites fleurs blanches car dans nos régions, le raifort ne fleurit presque jamais. Nul n’est besoin, d’ailleurs, de compter les pétales de ses fleurs afin de connaître sa famille : sa violente saveur piquante dénote une Crucifère, plus forte encore que la moutarde.

Dès qu’on la coupe, la terrible racine renflée et contournée, brun clair à l’extérieur et blanche à l’intérieur pique effroyablement les yeux et le nez. L’effet corrosif est encore pire si on la râpe – prudence ! Elle renferme comme la moutarde une substance libérant quand on broie la plante une essence riche en sulfure d’allyle. 

La racine de raifort est un condiment remarquable qui relève la fadeur des plats. En Europe centrale, on sert souvent une sauce au raifort avec la viande bouillie, le pot-au-feu et les légumes. En Autriche, l’Apfelkren[3], un mélange de pomme et de raifort râpés, est l’assaisonnement national. À la cuisson, le raifort perd de sa puissance à mesure que s’évapore son essence vésicante. En Alsace on coupe la racine en petits morceaux cuits dans de la crème puis mixés. Les amateurs ajoutent au sortir du feu un peu de raifort cru pour donner à la sauce plus de mordant. La racine fraîche se conserve au vinaigre. 

Les jeunes feuilles ont une saveur de chou. On les ajoute crues aux salades. Plus tard, elles deviennent coriaces et amères mais peuvent être cuites comme légume ou en soupe. 

À dose modérée, le raifort stimule la digestion mais en quantités exagérées, il devient irritant et rubéfiant. Ainsi en toute chose importe-t-il de trouver la juste mesure… 

 Apfelkren
– Lavez et brossez soigneusement une racine fraîche de raifort.
Râpez-la sur une râpe fine, en faisant attention à ne pas approcher trop près votre visage pour éviter l’irritation des yeux.
– Pelez une ou deux pommes acidulées et râpez-les aussi.
– Mélangez le raifort et les pommes, ajoutez un yaourt nature et salez légèrement. Ce condiment savoureux, d’origine autrichienne relève les hors-d’œuvre et les céréales, les pommes de terre et la viande de boeuf bouillie, par exemple dans une spécialité viennoise très appréciée, le « Tafelspitz mit Apfelkren ». 

[1] La récolte des cœurs de palmier tue l’arbre.

[2] De l’ancien français raïz fors.

[3] Apfel est la pomme et Kren le raifort.

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