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Les Alpes du Sud sont caractérisées par un climat où se combinent les influences montagnarde et méditerranéenne. Il y fait froid en hiver et chaud en été, avec une sécheresse marquée durant la belle saison. Les végétaux qui y ont élu domicile ont donc dû s’adapter à des conditions de vie plus difficiles que dans d’autres régions. Et ils ont remarquablement réussi. L’exploration de ces montagnes est un régal pour le botaniste curieux et gourmand.

Des fruits sous les mélèzes

Le mélèze au feuillage aérien forme le fond des forêts de la chaîne alpine interne, là où l’air est le plus sec. C’est le seul coni­fère de nos régions à perdre ses feuilles en automne. Il revêt alors un superbe habit jaune nuancé d’orange qui contraste vivement avec le bleu pur d’un ciel sans nuage. Il faut voir cette bichromie admirable se refléter dans le miroir du lac d’Allos ou dans les perles liquides de la Vallée des Merveilles. 

Le tronc à la grosse écorce brune fendue en plaques peut atteindre des tailles imposantes. Il donne un bois orangé très apprécié pour la charpente et le bardage. Les feuilles très fines, d’un vert clair, sont réunies en faisceaux de 15 à 20 sur des protubéran­ces ligneuses le long des rameaux. L’arbre porte de petits cônes. 

Comme celles de tous les conifères, les jeunes pousses du mélèze sont comestibles. Leur saveur acidulée, légèrement résineuse, les rend plaisantes à picorer au passage. On peut aussi les ajouter aux salades ou en faire des sirops.

Le sol des forêts sèches de pins ou de mélèzes se couvre par endroits d’un tapis dense de feuilles coriaces et luisantes dont la forme arrondie évoque celles du buis, buxus en latin : la busserole étale en tous sens ses rameaux tortueux, brun-rouge, à écorce lisse. Les fleurs d’un blanc-rosé, en forme de clochette rétrécie au sommet, donnent naissance à de grosses billes rouges. Leur pulpe farineuse, acidulée et astringente, est un peu décevante – surtout pour une proche parente de la myrtille et des airelles… Les plantigrades, moins regardants, se gavaient de « raisin d’ours ». C’est ce qu’évoque doublement le nom scientifique de la busserole, Arctostaphylos uva-ursi. Le grec arctos et le latin ursus désignent l’ours, et staphylos comme uva signifie « raisin ».

Cuits en compote, passés pour en éliminer les graines et convenablement édulcorés, les fruits ne sont pas mauvais. On peut aussi les écraser et les mélanger à de la farine pour confectionner des galettes ou du pain. Une fois séchés, ils étaient jadis moulus et tamisés pour fournir une poudre dont on faisait des bouillies. Les Indiens d’Amérique du Nord y mêlaient de la graisse animale pour préparer du pemmican. Riche en glucides, la pulpe des fruits de busserole est très nutritive.

Avec les feuilles, on préparait en Russie un thé amer, nommé koutaï. Leur décoction passe pour un remarquable antiseptique des voies urinaires et on l’utilise dans ce but depuis le Moyen Âge.

Commune jadis dans toute la France, l’épine-vinette a été éradiquée de la plupart de nos régions pour éviter la propagation de la rouille du blé, champignon parasite dont elle est l’hôte secondaire. On la rencontre encore fréquemment dans les Alpes du Sud. C’est un arbrisseau touffu aux tiges grisâtres munies de fortes épines disposées par trois. Les feuilles, groupées en bouquets, sont courtes et plus larges au sommet qu’à la base[1]. Elles pos­sèdent une agréable saveur acidulée. Jeunes et tendres, elles forment une agréable addition aux salades et sont rafraîchissantes à grignoter telles quelles au cours de la marche.

Les fleurs à six pétales jaunes recèlent dans la coupe de leur corolle autant d’étamines excitables. Dès qu’un insecte les frôle, elles réagissent instantanément en s’inclinant avec force vers le centre de la fleur et déversent leur pollen sur le dos de l’insecte. Jadis, cet étonnant mécanisme végétal, l’un des plus rapides du règne, servait à des fins divinatoires : les jeunes filles chatouillaient d’un fétu les étamines pour savoir si elles se marieraient bientôt, les garçons pour connaître les sentiments de l’élue de leur cœur… 

À la fin de l’été, l’arbrisseau se charge de grappes de fruits allongés, d’un rou­ge vif. Trop acides pour être bons crus, ils donnent des confitures parfumées, d’aromatiques compotes et des sauces acidulées. Il faut en éliminer le noyau mince et pointu en les passant sur un tamis ou dans un moulin à légumes. On les conserve parfois au vinaigre. Ils sont riches en vitamine C et en pectine. 

À l’époque où les teintures végétales étaient seules connues, l’écorce de la racine, d’un jaune vif, s’employait couramment. De sa­veur très amère, elle possède, en décoction, une action favorable sur le foie.

 Pickles d’épine-vinette        
– Retirez les fruits d’épine-vinette de leur grappe et lavez-les soigneusement.
– Disposez-les dans des bocaux de verre, sans les tasser.
– Faites bouillir du bon vinaigre de vin rouge avec du poivre, de la cannelle et des graines de cardamome. Salez légèrement.
– Versez sur les fruits dans les bocaux.
Couvrez et conservez au frais. 
– Utilisez comme les cornichons, par exemple avec la raclette. 

Les Alpes du Sud hébergent une plante unique au monde. Le fait est d’autant plus étonnant qu’il s’agit d’un arbuste de plusieurs mètres et non d’une minuscule herbacée. Le prunier de Briançon ou « afouatt », endémique des Hautes-Alpes, des Alpes-de-Haute-Provence et des Alpes-Maritimes, est fréquent sur les coteaux arides à l’est de la Durance et du Verdon. 

Ses larges feuilles ovales dentées et ses fleurs blanches à cinq pétales n’ont rien de bien distinctif. Une observation attentive révèle cependant que les fleurs forment de petits bouquets au lieu d’être solitaires ou géminées[2] comme chez le prunier domestique. Les gros fruits ronds ressemblent à des reines-claudes d’un jaune pâle. Leur pulpe abondante, fade à l’état cru, devient acide à la cuisson. On en fait d’excellentes confitures, des compotes et des tartes. L’amande du noyau, au goût prononcé d’amande amère, donne une huile comestible, dite localement « huile des marmottes » – rien à voir avec l’animal montagnard dont la graisse était jadis réputée contre les rhumatismes, mais le prunier de Briançon est surnommé « marmottier ». Cette huile, très estimée pour la pâtisserie, était encore extraite en Ubaye lors de la dernière guerre.

Merveilles des rocailles

L’hysope aux parfums de mystère se cache ça et là dans les pierrailles des Alpes du Sud. Ses tiges ligneuses à la base projettent une touffe de rameaux dressés densément couverts de feuilles opposées, étroites et allongées, portant à leur aisselle des faisceaux de feuilles plus petites. Au sommet s’épanouissent durant l’été de longs épis compacts de fleurs d’un bleu violacé intense. 

L’hysope dégage l’arôme épicé d’un miel poivré. C’est un très bon condiment à utiliser dans les salades et dans divers plats chauds. Il assaisonne agréablement les céréales, les légumes et les viandes. La plante sert aussi à parfumer des liqueurs. On cultive l’hysope pour ses vertus condimentaires et médicinales.

Délicieuses, les infusions des sommités fleuries stimulent l’organisme, en particulier la digestion. L’hysope a une action favorable en cas de problèmes respiratoires et possède des vertus antiseptiques. Son huile essentielle, rarement distillée, peut provoquer des troubles nerveux.

Ce n’est pas au milieu des cailloux que l’on s’attendrait à aller cueillir l’une des plus délectables salades sauvages. Tel est pourtant le lieu d’élection de la laitue vivace. Étonnant : ancrées dans les sols les plus ingrats, ses touffes de longues feuilles incisées, caoutchouteuses au toucher, gardent toute leur fraîcheur en dépit de la brûlure du soleil. Tendres et croquantes, ses feuilles remplissent admirablement les saladiers. Malgré la présence d’un latex, aucune trace d’amertume n’est décelable. On se doit de les manger crues pour mieux goûter leur saveur délicate et conserver leurs vertus nutritionnelles, mais la cuisson leur convient également. L’âge ne les affecte pas comme les autres laitues et on peut les récolter en tout temps. Au cœur de l’été, paraît au centre de la rosette une mince hampe florale portant des capitules d’une surprenante couleur bleu clair, inattendue chez une laitue[3]. Les fleurs décorent magnifiquement les plats.

Quels que soient ses attraits, ramassez la laitue vivace avec modération. Contentez-vous en général de prélever quelques feuilles par individu, en lui en laissant suffisamment pour qu’il continue à vivre. Dans le Sud-Ouest de la France, l’espèce est protégée.

 Salade de laitue vivace
– Coupez la laitue vivace en morceaux dans un saladier.
– Ajoutez-y diverses autres herbes de saison.
– Agrémentez d’olives noires, de morceaux de feta et de graines de tournesol grillées à sec dans une poêle
– Préparez une sauce onctueuse : délayez un peu de purée de sésame avec de l’eau pour obtenir une crème homogène.versez de l’huile d’olive en filet en battant comme pour monter une mayonnaise.
– Ajoutez un yaourt et diluez avec un jus de citron.
– Salez.
– Nappez la salade de la sauce, décorez de quelques fleurs champêtres et dégustez. 

À voir la laitue sauvage, on a du mal à imaginer un lien de parenté avec l’exquise laitue vivace. Il paraît moins probable encore que notre « salade » la plus commune en soit issue. C’est qu’avec ses tiges raides dont s’écoule à la moindre coupure un latex à odeur de bouc, avec ses feuilles glauques et coriaces bordées d’épines, portant sur la nervure centrale une ligne de fines arêtes, elle semble bien peu comestible. Les maigres capitules de fleurs jaunes donneraient pourtant quelque indication au jardinier coutumier de la production de graines potagères car ils ne diffèrent en rien de ceux des laitues cultivées.

Il faudra revenir plus tard, au printemps suivant, lorsque les graines auront germé. De toutes jeunes feuilles se groupent en rosettes d’un vert clair. Certes elles ne pomment pas mais on peut les déguster en salade comme les formes que l’on sème au jardin. Elles sont tendres, croquantes et savoureuses. Plus tard, elles deviennent coriaces et trop amères pour être mangées crues. Il faudra les faire cuire l’eau, puis les accommoder de diverses façons.

Le latex des laitues sauvages contient du caoutchouc qui se roule en boule entre les doigts. Surtout, il possède des vertus calmantes, jadis très appréciées. Frais, on le nomme « thridace », du grec thridax, « laitue » ; séché, c’est le lactucarium, longtemps utilisé pour remplacer l’opium dans les cures de désintoxication. Au milieu du XIXème siècle, Hector Aubergier mit en place aux environs de Clermont-Ferrand, dans la plaine de la Limagne, la culture industrielle de la laitue pour son suc, récolté par des « saigneuses ». 

Le surnom de « laitue-boussole », en anglais compass plant, a été donné à la plante car ses feuilles s’orientent (approximativement) vers le soleil à midi en lui présentant leur tranche.

Des champs éclatants

 Couronne de coquelicot 
– Faites cuire brièvement à l’eau des feuilles de coquelicot et égouttez-les.
– Hachez-les grossièrement.Faites revenir des oignons, avec de l’ail et des grains de cumin puis ajoutez-y le coquelicot, des noix hachées, un jus de citron, des oeufs légèrement battus et du pain sec écrasé (ou de la chapelure).
– Salez.
– Graissez un moule en anneau et saupoudrez de farine, puis versez la mixture dans le moule.
– Faites cuire au bain-marie à four moyen.
– Préparez une purée Soubise : faites cuire des oignons au four dans leur peau, à 180°C pendant 45 minutes.sortez les oignons de leur peau et mixez-les, encore chauds, avec la même quantité de riz cuit en ajoutant peu à peu du beurre en morceaux.
– Salez.
– Démoulez délicatement la couronne de coquelicot et remplissez le centre avec la purée. 

Les fleurs du pavot impressionnent, certes, par leur ampleur mais leur pâle corolle semble bien fade à côté du flamboyant coquelicot. Une légende raconte d’ailleurs que celui-ci s’était montré trop fier de sa beauté : pour le remettre à sa place, Dieu permit au diable d’y laisser sa marque. Satan déposa donc quatre taches noires, bien visibles, à la base de chacun des quatre pétales. Quoiqu’il en soit, la couleur écarlate des fleurs de coquelicot en indique l’origine exotique. En effet, aucun insecte dans nos régions ne peut percevoir cette couleur et il n’existe pas en Europe occidentale de plante indigène à fleurs rouges. Comme les tulipes et les roses vermeilles, le coquelicot vient du Moyen-Orient et s’est propagé avec les « mauvaises herbes » des cultures de céréales, les « messicoles ».

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La nielle des blés est peut-être encore plus appréciable comme ornementale avec ses grandes fleurs dont les cinq sépales étroits et aigus dépassent longuement les larges pétales rose vif. Pourtant les agriculteurs des temps jadis, peu sensibles à sa beauté, détestaient cette cousine de l’œillet. Ses grosses graines noires renferment en effet de dangereuses saponines et, en excès, présentent l’inconvénient de rendre la farine toxique. 

Le désir d’éliminer les plantes compagnes des céréales est particulièrement regrettable dans le cas des magnifiques adonis de légende, aujourd’hui très rares. D’après la tradition antique, la reine de Syrie avait une fille nommée Myrrha qu’elle proclamait plus belle qu’Aphrodite. Fâchée, la déesse inspira à la jeune fille un amour criminel pour son père. Grâce à la complicité de sa nourrice, elle s’introduisit dans la couche de ce dernier et en conçut un enfant. Myrrha, prise de honte, s’enfuit après l’inceste et les dieux compatissants la transformèrent en arbre à myrrhe – une sorte d’encens exsudant sous forme de gouttes qui représentent les larmes de la jeune fille. Plus tard, son fils Adonis naquit du tronc de l’arbre. Il se révéla d’une merveilleuse beauté et Aphrodite en tomba éperdument amoureuse. Le couple devient inséparable mais Arès irrité de la passion d’Aphrodite pour un mortel décida d’éliminer ce rival. Il insuffla donc à Adonis le goût de la chasse et finalement, ce dernier fut tué par un sanglier. De son sang naquirent les fleurs rouges surnommées « gouttes-de-sang ».

Les adonis d’été et d’automne sont de petites plantes annuelles, grêles, à tige unique. Leurs feuilles sont finement divisées en lanières. Les pétales cramoisis de leurs fleurs délicates ne tardent pas à tomber. L’adonis de printemps, vivace, ponctue les prés secs de grosses touffes spectaculaires couronnées en mai-juin de grandes fleurs jaunes.

Tous les adonis renferment des substances qui accroissent l’énergie des contractions cardiaques, ralentissent leur fréquence et diminuent le volume du cœur à la façon de la digitale. Comme les dauphinelles et les aconits, les adonis appartiennent à la famille des Renonculacées qui comporte un grand nombre de plantes dangereuses, dont plusieurs mortelles.

Belle adventice s’il en est, la dauphinelle ou « pied d’alouette » apporte une touche de couleur différente dans les champs non traités. Sa tige grêle porte quelques feuilles divisées en lanières étroites et allongées. Ses fleurs d’un bleu vif sont remarquables par leur forme irrégulière. Les cinq sépales miment des pétales, le sépale supérieur se prolongeant par un long éperon tandis que les quatre pétales se soudent en un seul. 

Plusieurs espèces voisines se partagent les champs. Toutes sont dangereuses, en particulier leurs graines. Leur ingestion peut produire des troubles digestifs, respiratoires et cardiaques. Malgré leur toxicité, les graines de quelques espèces ont été employées comme diurétique et vermifuge, mais cet usage est dangereux. On s’en servait également en applications comme parasiticide, d’où le surnom d’« herbe-aux-poux » parfois donné à une dauphinelle, la staphisaigre.

Typiquement niçois : le mesclun

Ne quittons pas la région sans un détour par le Comté de Nice, patrie du « mesclun ». Le terme provient de mesclar, « mélanger » en nissard, le patois provençal du pays niçois, et désigne les salades composées de toutes sortes de plantes sauvages et cultivées. Il n’y a pas si longtemps que s’est établie la différence entre les deux et dans bien des endroits du monde, la cueillette complète agréablement la culture sans que personne ne s’en étonne. Ce type d’alliance culinaire entre le sauvage et le domestique est resté courant dans la région méditerranéenne depuis l’Antiquité.

Le mesclun actuel, mis à la mode dans les années quatre-vingts, comporte obligatoirement de la roquette, une Crucifère méridionale à la saveur caractéristique de graines grillées. S’y ajoutent la laitue ‘Feuille de chêne’, de jeunes feuilles de scarole, de la chicorée rouge de Trévise, de la mâche, du cerfeuil et du pourpier. Diverses plantes sauvages peuvent entrer dans sa composition, au hasard des récoltes et des goûts du « chef » : bourrache, pissenlit, chicorée, plantain, fenouil, etc. apportent leurs arômes. Un bon mesclun doit être légèrement amer et parfumé. Il s’assaisonne à la dernière minute d’un filet de vinaigre, de quelques grains de sel et d’une généreuse rasade d’huile d’olive. Le chèvre chaud qu’on lui ajoute souvent, simple signe de modernité, est une tentative de cacher un peu l’amertume de cette salade peu ordinaire et bienfaisante.

Observez, cueillez, dégustez, comparez puis élaborez votre propre mesclun – ou plutôt différents mélanges de salades sauvages et domestiques suivant le lieu, la saison, votre humeur, les goûts de votre famille ou ceux de vos invités. Retrouvailles gastronomiques entre nature et civilisation !


[1] On les dit « spatulées ».

[2] Disposées par deux.

[3] Les autres espèces ont des fleurs jaunes.

[4] Dès la fin de l’hiver en moyenne montagne.

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