chenopodium_bonus-henricus_stluc_07_13 (1)

L’été en montagne, le petit matin est un moment béni. Je me mets en route alors que les premiers rayons du soleil passent la crête qui domine la vallée. L’herbe des prés, humide de rosée, va tremper mes pantalons, mais je n’en ai cure : je sais que tout à l’heure, grimpant dans les alpages, la fraîcheur en sera bienvenue. Et mes habits sècheront tout aussi vite que mon gosier assoiffé par l’effort.

Mon but, aujourd’hui, est d’aller cueillir du chénopode Bon-Henri (Chenopodium bonus-henricus) auprès d’un chalet d’alpage que j’ai repéré sur la carte. Sans y avoir jamais mis les pieds, je sais que je vais y rencontrer ma plante favorite : elle adore l’azote que les déjections du bétail fournissent en abondance et croît de façon luxuriante pendant le bref été montagnard. On la rencontre également sur les « reposoirs », lieux fumés par les vaches ou les moutons qui aiment à y passer une partie de la journée, en général sous un col ou le long d’une paroi rocheuse.

Le Bon-Henri est le légume sauvage le plus récolté de tout l’arc alpin. On le connaît couramment sous le nom d’« épinard sauvage », mais les appellations locales sont plus pittoresques : les Valaisans parlent des vercognes et les Savoyards des varcouagnes. Les Fribourgeois récoltent parfois encore la grachettaz, ingrédient indispensable de la « soupe de chalet » traditionnelle des armaillis, les vachers de la Gruyère, enrichie de lait et de fromage. Le Bon-Henri est le sangarrigou du Comté de Nice où l’on en prépare de délicieux gnocchis verts, les dendeïruols. Les habitants du Vercors le nomment simplement « tétragone », par confusion avec le faux épinard originaire de Nouvelle-Zélande…

Dès que la neige a fondu, j’aime observer ses petites feuilles d’un rouge inattendu qui sortent du sol. Un peu plus grandes, alors d’un beau vert tendre, elles sont délicieuses en salade. Les feuilles plus âgées se font plutôt cuire. De saveur bien marquée mais agréable, je les accommode de multiples façons : simplement passées à la vapeur, en tartes salées, en gougères farcies ou en soufflés… 

Les jeunes inflorescences, cueillies lorsqu’elles se cassent entre les doigts, sont rapidement cuites à la vapeur. Servies avec une sauce ou un morceau de beurre à la façon des asperges, elles en égalent la finesse. 

Les graines ne sont pas grosses, mais leur production est abondante. Elles formaient jadis pour les populations montagnardes une ressource alimentaire non négligeable. Je les trouve faciles à récolter, puis à nettoyer par vannage. Mais pour les consommer, il faut d’abord les bouillir, jeter l’eau pour éliminer les saponines, puis les cuire de nouveau. C’est ainsi que l’on prépare dans les Andes les graines de la quinoa (C. quinoa), un chénopode local connu depuis peu en Europe. De même que son cousin le chénopode blanc (C. album), le Bon‑Henri est consommé par l’homme depuis les temps les plus reculés. Il a même connu les honneurs de la culture, et les mérite amplement, car il est rustique, ne nécessite pas d’être semé chaque année et se montre très productif.

Découvrez notre formation en ligne conçue par François Couplan, expert en ethnobotanique internationalement reconnu avec plus de 50 ans d’expérience. Avec 30 modules, 120 cours et un enseignement théorique de qualité complété par des cours sur le terrain, cette formation unique au monde, sur trois ans, vous permettra de devenir un professionnel des utilisations des plantes. Accessible à tous, elle explore en profondeur les relations entre l’homme et les plantes, ouvrant ainsi des opportunités professionnelles passionnantes. Rejoignez-nous pour approfondir vos connaissances, explorer le monde végétal et développer une relation enrichissante avec la nature.

Les feuilles du Bon‑Henri sont riches en protéines complètes, en provitamine A et en vitamines B1, B2, PP et C ainsi qu’en sels minéraux, particulièrement en phosphore et en fer. Elles renferment également, comme les épinards, des oxalates solubles. Ces derniers sont irritants et les personnes souffrant de troubles rénaux ou hépatiques, d’arthritisme ou de lithiase devront éviter ce chénopode ou le faire cuire à plusieurs eaux pour éliminer les principes délétères. 

Encadré botanique

J’ai toujours trouvé extrêmement facile d’identifier le Bon-Henri : c’est une vigoureuse plante vivace aux feuilles largement triangulaires, grands fers de flèche munis de deux oreillettes dirigées vers le bas. C’est en le touchant que je le reconnaissais étant enfant : la face inférieure des feuilles, surtout vers le haut de la plante, est recouverte de minuscules billes blanchâtres qui forment une couche farineuse et donnent sous les doigts une sensation d’humidité caractéristique. Les petites fleurs verdâtres sont groupées en longs épis terminaux flanqués de courts épillets à l’aisselle des feuilles. Les inflorescences se teintent souvent de rouge lorsque mûrissent les graines, petits disques bruns et luisants. 

Recette : Soupe de chalet exotique

1 c. à soupe d’huile d’olive, 1 oignon, 2 pommes de terre, 1 courgette, 500 g de feuilles de Bon-Henri, 1 l d’eau, 250 ml de lait de coco, sel

  • Dans une marmite, faites revenir les oignons hachés, puis les pommes de terre et les courgettes.
  • Ajoutez les feuilles de Bon-Henri et remuez bien.
  • Versez l’eau, salez et ajoutez le lait de coco.
  • Laissez cuire une vingtaine de minutes, à feu doux, puis mixez avant de servir.

*****************************

François Couplan propose des formations et des stages de découverte des plantes sauvages comestibles et médicinales. Pour tout renseignements : contact@couplan.com

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *