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Article publié sur le site internet http://www.amisdelaterre.be.

Dans son dernier opus « La Nature nous sauvera », François Couplan nous livre sa vision du monde. Docteur es-sciences et premier spécialiste mondial des plantes sauvages comestibles, il prouve que l’on peut parfaitement vivre en s’en nourrissant. Dans ce livre, il développe une solution choc pour sortir de la crise écologique : un nouvel art de vivre. Il ne s’agit évidemment pas de retourner dans les cavernes mais de saisir l’intérêt que nous aurions à aimer la nature spontanée.

Q. : On ne peut pas passer directement du système actuel à la concrétisation de la décroissance. On peut simplement travailler aux marges ?

F.C. : Non. Au contraire, il faut travailler au coeur. Le coeur, c’est moi, c’est vous. La révolution ne viendra jamais de l’extérieur, c’est ma conviction. Elle prendra son origine à l’intérieur de soi, et pas des autres. Moi, je ne vais pas modifier mon prochain. Me transformer moi-même, c’est tout ce à quoi je peux prétendre. Celui qui lit ce que je suis en train de dire maintenant, c’est lui qui évolue. Je n’aurais pas la prétention de le faire changer, même marginalement. Et pourtant, nous sommes tous reliés. Là réside la beauté de la vie. (…).

Q. : De quel type de basculement peut venir l’espoir ?

F.C. : L’espoir que chacun peut chérir est proportionnel à son investissement personnel. Mais commençons par poser quelques principes de base. Primo, nous sommes entièrement responsables, individuellement, de tout ce qui nous arrive. Je sais que c’est une phrase lourde d’implications qui en choquera certainement plus d’un. Mais nous devons cesser de rejeter la faute sur l’« autre », quel qu’il soit. Secundo, nous ne pouvons pas attendre que les autres changent. Par exemple, pourquoi les habitants du tiersmonde ne voudraient-ils pas, eux aussi, profiter du bien-être matériel dans lequel nous nous vautrons ? Il serait naïf de penser qu’il puisse en aller autrement. Ils sont humains, comme nous. La seule solution consiste donc à monter l’exemple. Tertio, si d’un côté la responsabilité nous effraie, elle nous donne aussi le pouvoir d’agir. Et un individu peut beaucoup.

L'auteur, François Couplan

Q. : Vous évoquez, je suppose, notre pouvoir en tant que consommateur et électeur ?

F.C. : Exactement. Ce sont là de vrais pouvoirs, à condition de savoir résister à la publicité, aux promesses électorales et à toutes les formes de manipulation, ce qui demande une vigilance extrême (…) Mais, malgré l’ampleur de travail, je suis convaincu que pour changer le monde, il n’est pas nécessaire d’accomplir des actes hors du commun. Plusieurs découvertes scientifiques récentes regonflent le moral de ceux que décourage l’envergure des efforts à fournir. Par exemple l’« effet papillon », selon lequel un battement d’ailes à Hong-Kong peut provoquer un remous qui, en s’amplifiant, deviendra une tornade sur New-York : on peut renverser cette proposition de façon positive, en disant qu’à notre niveau, dans notre vie de tous les jours, une action minime peut avoir un impact à grande échelle sur l’évolution de la société. N’est-ce pas ce qu’exprimait, au fond, l’économiste germano- britannique Fritz Schumacher, quand il proclamait, dès les années 1960 : « Small is beautiful » ? Ou David Brower, fondateur de « Friends of the Earth » en 1969 : “Penser globalement, agir localement.”

Q. : En tant que simple citoyen, vous me dites que je peux commencer par modifier ma façon de consommer ?

F.C. : C’est essentiel. L’idée est très claire : il s’agit de faire des économies et de rester en bonne santé. N’est-ce pas d’ailleurs ce que tout le monde désire ? Et je sais pertinemment, pour l’avoir rencontré partout, que les biens matériels, au-delà d’un minimum, s’opposent au bonheur et détruisent l’âme. Il me semble donc souhaitable de mener une vie simple, de se nourrir sainement, de remplacer les loisirs coûteux par la contemplation de la nature ou le sport…

Q. : À condition que le plaisir demeure !

F.C. : Oui, bien sûr. C’est indispensable. Je ne parle pas d’ascétisme, mais d’une réévaluation honnête de ses besoins. Personnellement, je prends beaucoup de plaisir à vivre en réduisant mes dépenses, ce qui n’exclut pas les rapports sociaux, le ravissement des papilles ou la satisfaction de l’esprit. Nous avons évoqué précédemment la façon de s’alimenter, avec deux grands axes : manger bio et diminuer radicalement sa consommation de viande. Bien conduite, cette approche est source tant de joies gustatives que d’un mieux-être sensible.

Q. : L’Occident a développé une civilisation matérialiste incroyablement performante, qui se prétend supérieure.

F.C. :C’est une civilisation basée sur la puissance, que celle-ci soit issue du corps ou de l’esprit. Et son credo s’énonce : « Les autres sont moins forts que nous puisque nous les avons battus. Donc, éliminonsles – ou, au mieux, exploitons-les ! » Et les « autres », c’est aussi la nature. Or, en agissant ainsi, nous scions la branche qui nous porte. Une telle position n’est donc pas durable, on commence enfin à s’en rendre compte. Il nous faut assumer réellement nos choix. Nous devrions, par exemple, intégrer dans le prix des biens de consommation les véritables coûts de leur production.

Q. : Ivan Illich fut l’un des premiers contemporains à théoriser cette nécessité urgente. On se dirait : « Ce produit, je l’ai fait, mais en réalité pour le faire, j’ai dû détruire, et donc il coûte très cher… ». Oui, mais alors, à qui reviendrait la plus-value ?

F.C. : Il serait difficile d’aller donner de l’argent directement à la nature. On pourrait, par contre, en faire bénéficier les populations locales, car se pose à l’heure actuelle la question de propriété, intellectuelle et économique, des savoirs traditionnels. Si l’on utilise des technologies ou des produits qui en sont issus, on peut très bien imaginer reverser des royalties aux peuples d’où proviennent ces savoirs. Mais rien n’est simple, puisque ce serait aussi la meilleure façon de les détruire, en les faisant entrer, eux aussi, dans le cycle infernal de la consommation…

Q. : Et le commerce équitable ?

F.C. : Là aussi, je vais choquer ! Ce commerce nous donne bonne conscience, mais il peut se montrer extrêmement dangereux, en incitant les petits paysans à développer des cultures d’exportation plutôt que vivrières, qui sont essentielles. Il donne aussi l’envie et les moyens de consommer à des gens jusque-là préservés de notre virus occidental. On peut évidemment se dire qu’ils seront tôt ou tard contaminés…

Q. : N’êtes-vous pas un peu excessif dans votre appel ? la non-consommation ?

F.C. : C’est possible. En tout cas, la solution à nos difficultés actuelles, individuelles et collectives, a un prix. Et plus nous attendons, plus il sera élevé !

Q. : L’Histoire ne nous montre-t-elle pas que les plus belles utopies conduisent souvent à leur contraire parce que « l’enfer est pavé de bonnes intentions » ? De toutes façons, aujourd’hui, que l’on fasse ceci ou cela, le ciel va nous tomber sur la tête et les carottes sont cuites, non ?

F.C. : Comment peut-on savoir qu’une idée est une utopie tant qu’on n’a pas tenté de la mettre en pratique ? On doit agir même sans espoir – surtout sans espoir, d’ailleurs, car ainsi, on ne se trouve pas attaché à un but. Il nous faut agir simplement parce que nous le devons, et non par peur. L’alarmisme actuel est encore une attitude purement anthropocentrique. Eh quoi, serait-ce si grave si l’homme disparaissait. Le catastrophisme n’est pas de bon conseil et ne fait qu’exacerber nos craintes. Toute la question est de savoir si l’on se sent concerné ou non. Sommes-nous convaincus de la gravité du problème ? Si ce n’est pas le cas, il sera impossible de trouver une quelconque solution. Le nouveau pari de Pascal ne porte plus sur l’existence de Dieu, mais sur les chances de survie de notre espèce. Et sur notre capacité à surmonter nos contradictions. Nous en sommes perclus ! Ainsi, moi, que vous présentez comme un paléolithique, je vis une bonne partie de l’année dans une maison moderne. Et même si je fais attention à me monter raisonnable, je suis encore entouré de choses dont je n’ai aucun besoin. Car je ne vis pas dans le dénuement !

Q. : Au moins, cela a l’avantage d’être clair !

F.C. : En conclusion, il faut le savoir : nous vivons dans un système où certains s’enrichissent aux dépens des autres et en exploitant systématiquement la nature. Et ce système est accepté et perpétué par tous : l’ouvrier aspire à devenir patron, le pauvre à devenir riche… Ceux qui se plaignent d’avoir moins ne désirent qu’une chose : acquérir davantage et prendre la place de ceux qui se trouvent au sommet de la pyramide. Soyons-en persuadés : rien ne pourra changer tant que le fondement même de ce système ne sera pas mis en cause par ses acteurs. Nos problèmes actuels ne seront jamais résolus d’en haut. Il faut avant tout une motivation forte née d’une véritable prise de conscience. Je le répète, le point de départ est nous et nous-mêmes. Nous n’avons pas le droit de nous reposer sur d’autres, notre responsabilité personnelle est entière ! C’est là que tout commence ! Résumé et extraits choisis par Jean-Marc Chavanne.

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