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Quand on la voit, on peut s’étonner que cette grande fougère soit comestible. Pourtant ses jeunes pousses sont couramment consommées au Japon, et l’expérience mérite d’être tentée.

C’est en lisant un livre déjà ancien que je vis pour la première fois mention de la comestibilité des fougères. Dans son ouvrage sur l’Histoire de l’alimentation végétale, publié en 1932, Adam Maurizio en décrit l’usage « en temps de disette ». On en récoltait les jeunes pousses, encore enroulées en forme de crosse d’évêque ou de manche de violon. J’étais alors en Corse, où abonde la fougère aigle qui apprécie les sols siliceux formant la majorité des sols de l’île. Cette fougère y couvre de vastes étendues et il ne me fut pas difficile de trouver de quoi remplir mon panier de tendres tiges, que je cassais comme du verre entre mes doigts. Je les mis donc à cuire dans une grande cocotte d’eau et attendis. Au bout d’une dizaine de minutes s’éleva une étonnante odeur d’amande amère. Et lorsque je voulus sortir mes pousses, elles étaient toutes molles et gluantes… Mon premier essai ne fut donc guère concluant !

J’appris plus tard que la fougère aigle est couramment consommée au Japon. Mais il faut, pour les rendre comestibles, les préparer avec de la cendre de bois. Toutefois, les indications ne me semblaient pas claires et je ne m’y lançai pas. Un peu plus tard, je rencontrai une cuisinière japonaise que j’invitai à s’occuper des repas dans mes stages. Lorsque nous nous rendîmes en Corse, elle découvrit avec stupéfaction la quantité de fougère aigle qui y pousse : « Oh, des champs de warabi ! » (warabi est le nom japonais de la fougère aigle), car elle pensait que cette plante, tellement appréciée par ses compatriotes, devait être cultivée tellement il y en avait. Ce n’est certes pas le cas et les éleveurs pestent plutôt contre l’envahissement de leurs terres… Keiko mit les pousses dans un plat, versa de la cendre dessus et les couvrit d’eau bouillante. Le lendemain, elle les fit cuire dans du dashi, le célèbre bouillon japonais – qui fait toute la différence : le résultat était, sinon absolument délicieux, du moins infiniment supérieur au mien… Bien accommodées, les pousses de fougère forment un aliment tout-à-fait acceptable.

Sans préparation, la fougère aigle est toxique. Elle renferme une thiaminase qui détruit la vitamine B1. Les jeunes pousses sont particulièrement riches en ptaquiloside qui possède des propriétés cancérigènes. Si des accidents dus à a consommation de la plante n’ont pu être mis en évidence, l’empoisonnement du bétail par la fougère aigle est bien connu. 

Le rhizome de la fougère aigle est parfois suffisamment épais et riche en amidon pour pouvoir être consommé. En Europe, il était moulu et tamisé, puis mélangé à de la farine de céréale pour faire du pain ou des bouillies. Les Indiens d’Amérique du Nord le faisaient cuire dans un four souterrain et le mangeaient tel quel, en recrachant les fibres. En Asie on en extrayait de la fécule avec laquelle on fabriquait des gâteaux : leswarabi mochis japonais étaient originellement préparés avec de la fécule de rhizome de fougère aigle.

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Encadré botanique

La fougère aigle (Pteridium aquilinum) est une grande fougère vivace, formant des colonies étendues. Contrairement à celles des autres fougères de nos régions, ses larges feuilles, nommées « frondes », sortent individuellement du sol et peuvent atteindre 2 m de hauteur. Leur contour est triangulaire et elles sont divisées de part et d’autre des nervures en nombreux segments allongés, coriaces. Elles sont portées par de longs pétioles rigides et dressés. Les spores qui reproduisent la plante sont groupées en sporanges recouverts d’une pellicule membraneuse, formant une ligne continue sous le bord enroulé des segments. La partie souterraine est un gros rhizome noir, épais et profond, propageant la plante sur de grandes distances.

La fougère aigle abonde dans les bois, les landes et les champs, toujours sur terrain siliceux. Elle est commune dans toutes nos régions et se rencontre dans le monde entier. 

Recette : Warabi

500 g de pousses de fougère aigle, 1 bol de cendres de bois, 1 l d’eau, 2 shiitake séchés, 5-10 cm de kombu (selon la largeur), 600 ml d’eau, quelques pincées de katsuoboshi, riz japonais

  • Disposez les pousses de fougère dans un plat profond et saupoudrez la cendre par-dessus.
  • Faites bouillir l’eau et versez sur les pousses en les recouvrant bien. Laissez ainsi toute la nuit.
  • Faites tremper les shiitake séchés et le kombu dans l’eau.
  • Le lendemain, rincez les pousses et réservez.
  • Préparez le dashi :
  • Faites bouillir de l’eau avec les shiitake et le kombu réhydratés.
  • Retirez le kombu après l’ébullition et continuez à faire cuire pendant 30 minutes à feu doux. 
  • Mettez les pousses de fougère à cuire doucement dans le dashi.
  • Égouttez-les et saupoudrez de katsuoboshi (flocons légers de bonite fermentée). 
  • Servez avec un riz japonais.

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