Il est des questions qui méritent d’être posées : pourquoi Linné, le célèbre botaniste suédois, a-t-il nommé « benoîte urbaine » une plante qui pousse avant tout dans les lisières des bois de nos campagnes, plutôt qu’entre les pavés de nos cités ? Je n’aurai sans doute jamais la réponse, mais je dois dire que je ne m’en préoccupe guère, puisque je sais où aller trouver cette plante merveilleuse.
Merveilleuse ? Ce n’est certes pas son allure qui lui fait, à mes yeux, mériter cette épithète. Ce n’est pas sa rareté non plus, puisqu’il s’agit d’une de nos plantes les plus communes, que chacun ne cesse de croiser lors de la plus brève de ses promenades. Pour en découvrir les véritables attraits, il faut se donner un peu de peine et, muni d’un piochon, dégager délicatement la base de la plante afin de pouvoir l’arracher à son sol nourricier. Puis après avoir soigneusement secoué la touffe pour en faire tomber la terre, détachez l’une des nombreuses racines brun clair qui se rattachent à la grosse souche foncée et froissez-la avec vigueur entre vos doigts. Jamais je ne me lasserai de l’incroyable parfum qui se dégage de cette plante si humble d’apparence. Sentez-vous cet arôme puissant de girofle que viennent agrémenter des notes florales totalement inattendues pour la partie souterraine d’un végétal ? En vous appliquant bien, sans doute décèlerez-vous, comme le fait mon odorat une légère odeur de fumée et des relents plus lourds de betterave, voire de terre, ce qui est, après tout, logique.
Bref, c’est à un véritable feu d’artifice olfactif que nous convie la benoîte urbaine et je ne me lasse pas d’en faire le point central d’un jeu des odeurs que je propose régulièrement aux participants à mes stages, avec des résultats fort divers : la plupart du temps, l’odeur caractéristique de clou de girofle frappe les esprits culinairement orientés, mais plus souvent encore la réponse fuse « Ça sent le dentiste ! » Effectivement, notre modeste benoîte renferme une essence aromatique riche en eugénol, qui se trouve être le composant principal de l’huile essentielle de clou de girofle. Or l’eugénol, apprécié pour ses vertus antiseptiques et anesthésiantes, est largement utilisé en dentisterie comme composant des amalgames dentaires. Je me souviens d’ailleurs parfaitement dans tout mon être de l’épouvantable (c’est le mot juste !) odeur qui m’envahissait lorsque, à cinq ans déjà, je poussais la porte du dentiste qui allait examiner mes quenottes douloureuses.
J’ai découvert depuis bien longtemps déjà que ce cadeau parfumé de la nature pouvait servir à aromatiser les plats. Et une autre question s’est donc posée à moi : « Comment se fait-il que l’on ait ignoré le potentiel de ce végétal si fréquent chez nous, alors que l’on importait de par-delà les mers le bouton floral du giroflier, qui coûtait alors des sommes incroyables ? » Je crois la réponse toute simple : justement parce que le clou de girofle était rare et la benoîte trop commune. Cela permit aux bourgeois européens d’amasser d’énormes fortunes, et aux gens du commun de passer à côté de trésors de saveurs. Tout n’est cependant pas perdu, puisque tous ceux qui lisent ces lignes pourront découvrir le savoureux risotto à la benoîte urbaine ou le « chaï » que l’on prépare avec les racines, du lait et du sucre, une boisson qui rappelle étonnamment le thé aux épices indiens de ce nom. Il faudrait être beaucoup plus fortuné pour déguster l’extraordinaire « filet de féra à la benoîte urbaine » que préparait Marc Veyrat en son auberge étoilée de l’Éridan peu après que je lui aie fait découvrir cette merveilleuse plante qu’il s’est toujours plu, fier de ses racines campagnardes, à nommer plus justement « benoîte rurale »…
Découvrez notre formation en ligne conçue par François Couplan, expert en ethnobotanique internationalement reconnu avec plus de 50 ans d’expérience. Avec 30 modules, 120 cours et un enseignement théorique de qualité complété par des cours sur le terrain, cette formation unique au monde, sur trois ans, vous permettra de devenir un professionnel des utilisations des plantes. Accessible à tous, elle explore en profondeur les relations entre l’homme et les plantes, ouvrant ainsi des opportunités professionnelles passionnantes. Rejoignez-nous pour approfondir vos connaissances, explorer le monde végétal et développer une relation enrichissante avec la nature.
Encadré botanique
La benoîte urbaine est une plante herbacée, vivace, mesurant de 30 à 90 cm. Ses racines chevelues, d’un brun clair, naissent d’une tige souterraine courte et épaisse. Les feuilles, munies d’un long pétiole, sont divisées en 5 à 7 folioles inégales, la terminale plus grande, en coin à la base. De petites folioles viennent s’intercaler entre les plus grandes. Les feuilles de la tige sont profondément incisées en 3 lobes et munies de 2 larges stipules arrondies. Les fleurs, relativement petites, sont d’un jaune vif, à 5 pétales libres entre eux. Elles sont isolées au sommet des tiges et s’épanouissent pendant l’été. Les fruits portent les styles recourbés sur eux-mêmes au sommet : ces derniers s’accrochent facilement aux vêtements ou au pelage des animaux, favorisant ainsi la dispersion des semences de la plante.
Recette : Risotto à la benoîte urbaine
2 oignons, 2 cuillerées à soupe d’huile d’olive, 200 g de riz, 1 l de bouillon de légumes ; Pour la sauce : 1 bol de racines de benoîte fraîches, 25 cl de crème de soja, 60 g de tofu soyeux, 1 cuillerée à café de tamari.
- Hachez les oignons et faites-les revenir dans l’huile d’olive.
- Quand ils sont translucides, ajoutez le riz et remuez.
- Quand les grains sont translucides, ajoutez progressivement du bouillon, jusqu’à cuisson du riz.
- Préparez la sauce benoîte :
- Lavez et hachez finement les racines et faites-en trois tas.
- Mettez à bouillir le premier tas dans la crème de soja pendant dix minutes, puis retirez du feu.
- Ajoutez le deuxième tas et laissez infuser dix minutes.
- Ajoutez le troisième tas, mixez et filtrez en exprimant bien.
- Ajoutez le tofu soyeux et le tamari.
- Mélangez la sauce parfumée au risotto et servez chaud.
Mise en garde :
Récoltez la plante de façon parcimonieuse, car en l’arrachant, vous la tuez. La benoîte n’est pas une plante rare, mais il ne faudrait pas qu’elle le devienne…
*****************************
François Couplan propose des formations et des stages de découverte des plantes sauvages comestibles et médicinales. Pour tout renseignements : contact@couplan.com